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L'axe vertical

Publié dans Etude le 30/05/2017 par Ludovic Merlin
Au-delà d'une compréhension purement mécanique liée à la dynamique corporelle, l'axe vertical, représente un axe symbolique, relié à une dynamique interne. Il représente notre capacité à relier le haut et le bas, à exister en tant qu'homme, les pieds dans la matière périssable et la tête dans la lumière éternelle.

L'axe vertical, ou comment être entre le haut et le bas 

Traité de Tai Chi Chuan 

Il existe un antique traité sur le Tai Chi Chuan attribué à Zhang Sanfeng, un taoïste errant légendaire, patriarche des Monts Wudang spécialiste du neijia. Ayant vécu entre les Song et le début des Ming, la tradition lui attribue la fondation de l'école d'arts martiaux du mont Wudang et, depuis le 19ème siècle, l'invention du Tai Chi Chuan en observant le combat d'un serpent et d'une grue, ce dont les historiens doutent fortement.
Un jour qu'il récitait les Classiques, une grue se posa dans sa cour. Zhang Sanfeng l'observa de sa fenêtre : l'oiseau scrutait un serpent lové sur le sol. Le serpent regarda l'oiseau puis un combat s'engagea entre eux. La grue attaquait en déployant ses ailes, et le serpent agitait la tête puis ondulait pour échapper à l'oiseau qui retournait au sommet d'un arbre. À nouveau, l'oiseau attaquait mais le serpent se contorsionnait et s'écartait encore grâce à un mouvement en spirale. Le combat durait sans victoire de l'un ou l'autre... Quand Zhang Sanfeng sortit dans la cour, le serpent et l'oiseau avaient disparu. De l'observation de ce combat, Zhang Sanfeng eut l'idée du Tai Chi Chuan, en alliant la souplesse et les mouvements circulaires du serpent à la vitesse et les attaques en lignes droites de la grue.

C'est en tout cas un personnage populaire du folklore et du wushu, à propos de qui circulent de nombreuses légendes. Certains en font aussi l’inventeur du style de la Grue blanche et de l’épée jiandao. Il est fréquemment représenté en tenue de moine avec un chapeau de paille à large bord dans le dos. Sa biographie est essentiellement légendaire. Il est décrit sous l’aspect fantastique d’un immortel se confondant avec la nature, invisible et unissant en lui les extrêmes : ses os sont ceux d’une grue et sa posture celle du pin, symboles de longévité ; il est aussi bien capable d’avaler une quantité incroyable de nourriture que de rester à jeun pendant de longues durées ; par trois fois, des empereurs envoyèrent des délégations à sa recherche pour l’inviter au palais, mais personne ne put jamais le trouver. Il aurait ressuscité et appris des secrets alchimiques auprès de l’immortel du Dragon de feu. Il aurait construit un ermitage sur le mont Wudang et aurait invité ses disciples à s’y installer, mais lui-même n’y resta pas et reprit sa vie errante vers le Sichuan, passant entre autres par les monts Qingcheng et Heming.

Néanmoins, voici le traité qui lui est attribué et dans lequel les principes essentiels sont définis ainsi :

"Dès le moindre mouvement, toutes les parties du corps doivent être légères, agiles et reliées entre elles. Il convient de stimuler le souffle, de focaliser l’énergie spirituelle (Shen). Il faut que les mouvements ne présentent aucune imperfection, sans creux ni bosse, qu’ils s’enchaînent sans interruption.
 La force prend racine dans les pieds, se développe dans les jambes, est contrôlée par la taille et se manifeste dans les doigts. Des pieds à la taille en passant par les jambes, le souffle est un. Ainsi, à l’avance ou au recul, il sera toujours possible de saisir la position avantageuse. Si le corps vient à être disloqué, la cause est à rechercher dans les jambes et la taille.
Que les mouvements soient dirigés vers le haut ou le bas, vers l’avant ou vers l’arrière, vers la gauche ou vers la droite, le principe reste le même : c’est la pensée qui dirige le geste et non pas un agent extérieur.
Il n’y a pas de haut sans bas, d’avant sans arrière ni de gauche sans droite. L’intention d’aller vers le haut contient nécessairement en elle l’idée d’un mouvement vers le bas, tout comme lorsque vous soulevez une chose dans l’intention de la détruire, séparez-la de sa racine et vous pourrez être assuré qu’elle sera anéantie rapidement.
Il convient de distinguer clairement le vide du plein. Chaque partie du corps peut être vide ou pleine. Toutes les parties du corps sont reliées entre elles, articulation par articulation, sans la moindre rupture."

Relier le haut et le bas dans la pratique corporelle

 
" Il n’y a pas de haut sans bas"
"L’intention d’aller vers le haut contient nécessairement en elle l’idée d’un mouvement vers le bas" 

Voilà un des principes physiques essentiel à la pratique. Le corps avec lequel on recherche une ouverture totale, fonctionne selon des axes linéaires, au nombre de trois, qui sont l'axe vertical, l'axe horizontal, et l'axe sagittal. Sur chaque axe, il est possible d'expérimenter deux sens :

axe vertical : haut ou bas
axe horizontal : droite ou gauche
axe sagittal : avant ou arrière

Quel que soit le mouvement proposé, il est nécessaire de toujours relier les deux directions d'un même axe, afin qu'il soit effectué avec présence et puissance. Ainsi comme l'avait compris Archimède avec sa poussée d'un corps dans un fluide, 
quand quelque chose descend, autre chose doit monter, et quand quelque chose monte, une autre partie doit automatiquement s'ancrer pour équilibrer le mouvement. 
Même s'il n'est évoqué ici que l'axe vertical, gardez à l'esprit que pour avoir une ouverture puissante dans le cube, il est nécessaire de comprendre et d'appliquer cela pour les trois axes simultanément.

Ainsi, si dans une partie de la forme je veux être puissant avec les mains (ex: brosser les genoux), mes jambes s'ancrent dans le sol en simultané. Idem lorsque que j'arme un coup de pied, ou que j'exécute le premier mouvement de Qi Gong des Ba Dua Jin, (prendre appui au ciel). Si je n'effectue pas cela, je ne peux garder mon centre, ni mon ancrage et mon corps se déséquilibre.

Outre à travers le mouvement, l'axe principal qui traverse le corps de part en part (de Hui Yin, point d'acupuncture situé au périnée, à Bai Hui, point situé sur le sommet du crâne) se doit d'être étiré en permanence. Le corps doit avoir la sensation d'être comme "suspendu à un fil" par le crâne, et d'être "empalé" sur un axe. Par conséquence, dès que l'on rentre dans la dynamique, la sensation structurelle d'étirement haut /bas que l'on éprouve à travers ces deux points quand on est immobile, se doit d'être couplé avec celle qui passe dans les membres supérieurs et inférieurs pour trouver en nous une sensation globale d'ouverture.


L'axe vertical : l'homme entre la terre et le ciel

Mais au-delà d'une compréhension purement mécanique liée à la dynamique corporelle, l'axe vertical représente aussi un axe symbolique, relié à une dynamique interne. Il est judicieux d'aborder ici, un des fondements énergétiques de la médecine chinoise et du Qi Gong, la notion des Dantian.

Les 3 Dantian, littéralement champ de cinabre, représentent 3 centres d'énergie essentiel du corps. Leur interconnexion symbolise aussi la liaison verticale de l'homme entre la terre et le ciel. Ces trois centres d'énergies sont comme trois creusets alchimiques contenant les "trois trésors", qui correspondent chacun à une étape de la transformation intérieure. Selon les taoïstes l’énergie est transmutée dans les 3 champs de cinabre en procédant à une technique de raffinement de l’essence (JING) en énergie (QI) puis en conscience (SHEN). L’étape suprême de ce travail consistera à retourner à la vacuité absolue WU JI, état indifférencié de l’énergie.

- JING (l'essence, le potentiel inné, le corps physique, les tissus, le sang et la matière au sens large) est sublimée au niveau du dantian inférieur et se transforme en souffle (qi).
- QI (l'énergie ou le souffle qui nous anime et active les fonctions vitales) est sublimé au niveau du dantian médian, pour se transformer en énergie spirituelle (shen).
- SHEN (la conscience, nos fonctions mentales et spirituelles) est sublimée au niveau du dantian supérieur  et retourne à la vacuité (xu). 

D'où l'importance d'avoir d'une manière personnelle, un travail d'harmonisation de ces trois centres majeurs, car les trois dantian remplissent une fonction aussi bien physique, énergétique que psychique.

 

Le Dantian inférieur appelé « océan de l’énergie » se positionne en oblique à l'intérieur du corps, sous l'ombilic jusqu'au périnée. Il se situe au niveau du centre de gravité du corps humain, au milieu de l'abdomen. Il est considéré comme le centre de la vie instinctive et intuitive, dont dépendent toutes nos fonctions physiologiques mais aussi psychologiques. Il est en relation avec les énergies terrestres "yin", la force vitale et l'énergie sexuelle, et son symbole est la terre. Sa fonction est de stocker et de concentrer le Qi inné, appelé Jing ou énergie vitale. C'est le Dantian principal qui est utilisé dans le combat et il permet de développer le Jing des spirales.

Le Dantian médian se situe au centre de la poitrine, au croisement de la ligne des seins et de l'axe central. Il règle l'énergie du cœur, du poumon et de l'esprit. Il agit sur le système nerveux central par l'intermédiaire des méridiens qui longent la colonne. C’est un pont qui transmet l’énergie du haut vers le bas et réciproquement. Il correspond à la fonction vitale de la respiration et stocke le Qi (souffle-énergie). Il est relation avec les énergies "yin" et "yang", lié à la respiration, à l'énergie de la nourriture, et au Qi prénatal. Son symbole est l'homme.

Le Dantian supérieur se situe au niveau de la tête, au centre du cerveau, au niveau du troisième œil, entre les sourcils. C'est le siège de Shen (la conscience), il régit l'intention et maîtrise la circulation de l'énergie. Il développe sagesse et intelligence du corps et de l'esprit, en étant en relation avec les énergies célestes "yang", son symbole est le ciel.

Les Dantian, sont seulement des points d'émergence qui nous permettent d'entrer en relation avec différents règnes. Grâce à eux, chacun peut ressentir en lui les dimensions telluriques, humaines, ou célestes, et connaître de ce fait la place qu'il occupe entre ciel et terre. L'axe vertical est une image universelle, celle de l’ascension vers les états supérieurs de l’être. Dans la symbolique universelle, la ligne verticale est l’image la plus simple de la relation de la terre au ciel, autrement dit du monde grossier au monde subtil. Cette relation trouve son support le plus accompli chez l’être humain qui par sa nature participe à la fois de la terre et du ciel, de la terre par son corps fait de matière et du ciel par sa conscience. 

Le Jing, cette énergie sexuelle et force vitale d'agressivité présente chez tous les êtres vivants, que le nourrisson transforme en intention, en dynamisme au service de ses besoins, devient le Qi qui nous permet de demeurer vivant, qui nous pousse à nous protéger des dangers et à faire les efforts nécessaires pour atteindre nos objectifs. Cette énergie, qui est disponible chez chacun d'entre nous, est éminemment précieuse et indispensable à la vie. Il est ensuite donné à tous la liberté d'aspirer à une conscience « céleste » en développant son Shen.

En conclusion

L'axe vertical, est un axe primordial pour l'être humain, il est comme une pièce centrale, un pivot qui le guide dans son mouvement et tout au long de son évolution interne. C'est un axe de conscience qui demande constamment de la nuance et de la relativité. Il permet à l'être humain de donner les bases de son équilibre extérieur pour s'ériger physiquement (par les appuis, la posture juste et sa disponibilité à la mobilité) comme de son axe intérieur pour s'ériger en tant que personne, permettant au passage de percevoir son positionnement dans le monde en lien avec la terre, la grande nature, le ciel. Par cet axe, chacun transmute le potentiel et les énergies dans une dynamique de raffinement et d'évolution.  Ainsi, l’homme constitue par l’intermédiaire de la verticalité de son corps et de sa présence, une représentation même de cet axe dans le monde incarné, et porte en lui le potentiel d'être, en chaque instant, en harmonie corporelle et spirituelle entre le haut et le bas.

Aller à la rencontre de notre verticalité nous amène simplement à entrer en relation avec nous même, étant liée à notre place par rapport à l'autre et par rapport au monde, ainsi qu'à la conscience de l'être, du grossier au subtil. 
 

 

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